Co-incidences

Alin Avila
Historien de l’art, directeur de la revue Aréa

Au devant des « travaux » de Vincent Odon, saisis par leur unité, surgit cette question : « Mais de quoi s’agit-il ?». Question de statut, question de sens et problème de forme.
Après avoir souri, que reste-t-il en nous d’avoir parcouru ces pages discrètes où il pose – comme des interjections – ses remarques ?
Le grammairien de l’art devra s’interroger, suivons ses pas, et d’abord, il faudrait établir une typologie du fonctionnement de ses images dont la clef de voûte est le langage, sans oublier
de prêter du sens aux lieux où Vincent Odon veut qu’elles apparaissent : le champ de l’art.

 

Mais Vincent Odon se méfie des mots, il parle bas, et semble avoir une attitude de quasi-indifférence devant les choses du monde, certainement pas une posture cynique et son ressort n’est pas l’ironie. En superposant deux registres de sens, il crée un décalage – propre à l’humour – et qui fonctionne comme une mise en éveil, l’esquisse d’une rébellion. Mais rien, chez Vincent Odon n’est dit un ton trop haut. Son dessin sans effet de style semble presque effacé, pudique et discret au point qu’on peut se demander s’il ne se pose pas la question de la forme, en y renonçant.
Vincent Odon jouerait-il les post-modernes, souscrivant au désenchantement plutôt qu’au sursaut critique ? Ces saynètes graphiques pourraient se rattacher à l’histoire du trait de presse, réinterpréter des classiques oubliés du dessin d’humour, mais regardons-les d’abord à l’aune de Kosuth qui établit avec rigueur une équivalence parfaite entre : un objet, son image et sa définition (le mot qui le désigne), et ainsi prétend abolir les frontières entre le sens, le signe et la chose, et montrer cette place où se tient l’Art. D’ailleurs, en face des sémiologues et des philosophes une telle « aberration » – comme on le dit en optique – ne pouvait s’énoncer que dans le champ de l’art et du tout possible. C’est dire à propos du travail de Vincent Odon qu’il s’agit tout à la fois exactement de ce que l’on voit, mais aussi d’une posture qui établit l’image comme un lieu de pensée supérieur à la seule esthétique, ouvrant les perspectives de celle-ci.

 

Déjà en 1847 J.J. Grandville décompose et révèle pour la première fois le fonctionnement du mécanisme d’association d’idées dans les rêves éveillés, non seulement par un texte, mais par deux dessins conceptuels édifiants, où mots et formes s’épousent et s’enchaînent.
C’est la suprématie du verbe (« La parole » divine qui fonde les monothéismes) qui est mise en cause, le langage ne paraissant alors qu’une étape dans l’histoire de l’intelligence de l’humanité. Un outil pour représenter le monde, mais pouvant être contesté par d’autres représentations. Et par exemple, au travers de l’art contemporain, il s’agirait d’inventer de nouveaux glyphes plus complexes – des sortes de rébus ou de machins – qui font sourire aujourd’hui, mais alors qu’il mène la pensée à trébucher, il la réinvente.

Vincent Odon inscrit ses recherches dans la lignée d’un « art mineur » (au sens où Gilles Deleuze parle d’une « langue mineure » où il s’agit « d’être bègue du langage lui-même, être comme étranger dans sa propre langue »). Nous évoquions Grandville jamais considéré par les thuriféraires du grand art, mais qui se rappelle de Jules Lévy, qui en 1882 organisa une exposition
« de gens ne sachant pas dessiner » donnant naissance – contre l’art pompier, contre l’art moderne et contre rien du tout – aux « Incohérents ». Et là, pendant plus de dix ans, quel régal… Un art toujours ignoré de nos musées : des tableaux de douze mètres, des sculptures en cervelas, un vrai cheval peint en bleu blanc rouge, un lapin vivant dans un tableau, des machines improbables, des calembours aux goûts divers. Déjà des « ready-mades » comme ce miroir intitulé « Portrait de tout le monde » et bien sûr les fameux monochromes, le blanc « Jeune cacochyme nue sur un champ de neige», le rouge «Récolte de tomates au bord de la mer Rouge par les cardinaux apoplectiques» d’Alphonse Allais qui est reconnu pour ses textes… Mais qui se rappelle de Bridet (1859-1886), dont le célèbre « Porc trait par Van Dick » vaut moins que ses évocations au « Mouvementisme », satire d’un art qui pour toujours aller de l’avant se résumerait à ses lourdes bottes militaires… Les artistes dadaïstes sauront reconnaître ce qu’ils leur devaient, tout comme les surréalistes dont les « expositions internationales » devaient ressembler au « Salon international des incohérents » qui, coïncidence, se tenait boulevard Bonne-Nouvelle dans le même immeuble où vivra l’adorée de Breton, Jacqueline Lamba.

 

En remontant cette filiation, c’est aller dans les alentours de Michel Laclos et d’Eric Losfeld qui fondèrent en 1953 la revue « Bizarre », une cinquantaine de numéros qui pose l’esprit d’un « non-sens » français, et dans ses alentours Bosc et Chaval, classiques à leur manière, Gourmelin que le Centre Pompidou a honoré en 2009 dont les espaces enivrants sont, comme le dit Philippe Soupault, «une résurrection de la réalité ». Et puis ce fut Panique, Topor, Zeimert et leur bande, plus politisés ceux-là… L’humour étant le masque parfait pour contester les dogmes et si l’on en croit les philologues, la notion d’humour apparaîtrait en Angleterre au milieu du XVIIIe siècle… Tiens ! à la même période où se constitue la Franc-maçonnerie… comme si le rire et une nouvelle pensée théosophique avaient en commun de vouloir déposséder le maître des coïncidences, Dieu lui-même.

 

L’homme face aux mystères du monde se trouve dans l’incertitude de l’enchaînement des causes et des effets ; dans l’épreuve de sa liberté, les mots et les émotions équivalent aux choses. Puisqu’il est artiste, il peut établir entre tout ce qu’il conçoit, pense ou ressent, ce que nous pourrions nommer des « Co – incidences ». La rencontre improbable, maligne ou bénéfique de ce qui n’était pas fait pour « incider » : il produit des monstres « situationels ». La pertinence de ses « co-incidences » remonte déjà à ses travaux d’étudiant, sa quête de non-sens lui crée une obligation de labeur. Autant ses idées jetées sur les cahiers semblent ne viser qu’au concept, exprimer pour le mieux ce qu’il pense, ses réalisations en volume en imposent, parce qu’elles font de l’improbable du tangible, et de l’humour une catastrophe. Quand il dénonce, – mais toujours « à minima » – c’est de l’espace qu’il parle. Du cloisonnement et des circulations, des passages d’un mot à une chose, rendant visible des images mentales qui lui permettent de tenir le journal de sa position au monde.

196 pages, format 10,5 x 15 cm
88 dessins, 14 sculptures
12 euros

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